Résumé
Cette recherche décrit la répartition spatiale de l'équipement des ménages en automobile et son évolution entre les deux derniers recensements (1975 et 1982). Elle met en œuvre principalement deux approches :
- La cartographie, utilisée comme méthode exploratoire pour analyser de manière détaillée les bassins de Lille et de Lens ainsi que l'agglomération lyonnaise (chapitre I),
- L'économétrie pour obtenir une vision plus exhaustive et plus formalisée de l'ensemble des grands bassins d'emploi (chapitre II), puis de toutes les communes françaises (chapitre III) regroupées par strate de densité.
Cette synthèse n'est pas un résumé des différents chapitres ; elle rassemble plutôt les résultats par thème en considérant successivement les plus grands facteurs qui déterminent la motorisation et son évolution : la composition sociale, les phénomènes de saturation, la structure de l'habitat (individuel ou collectif), et enfin l'équilibre entre l'automobile et les transports collectifs ainsi que les contraintes induites par les trajets domicile-travail. Ceci permet de faire converger les apports des deux méthodes et de confronter différents types de découpage de l'espace (bassins d'emploi, zones de densité comparable, départements... ).
1 - UN ESPACE STRUCTURE PAR LA COMPOSITION SOCIALE.
Les cartes établies pour nos régions d'étude montrent la similitude entre les répartitions spatiales de la motorisation et de certaines catégorie socio-professionnelles (cadres supérieurs très motorisés et en négatif inactifs peu équipés). Pour synthétiser l'information sur .la composition sociale, nous avons construit un indicateur de "motorisation fictive" constitué en pondérant les ménages de chaque catégorie socio-professionnelle d'une commune par la motorisation moyenne de cette catégorie socio-professionnelle sur l'ensemble de la zone étudiée (Nord, agglomération lyonnaise ou France entière se Ion les cas). On constate que la composition sociale est le principal facteur expliquant les disparités de motorisation dans les grandes zones urbaines quelle que soit leur structure : concentrique à Lyon, polycentrique autour de Lille-Roubaix-Tourcoing-Villeneuve d'Ascq, étalée en bandes le long du bassin houiller de Lens.
Quand on élargit le champ de l'analyse à l'ensemble des grandes Z.P.I.U. (Zones de Peuplement Industriel ou Urbain définies par l'I.N.S.E.E), on vérifie économétriquement que c'est pour les bassins constitués autour des grandes métropoles (Paris, Lyon, Lille ...) que l'effet de la composition sociale mesurée par notre indicateur est le plus fort ; il est aussi important pour les villes très motorisées de l'Ouest (par exemple Poitiers). Il est plus faible pour les bassins industriels de structure complexe (Lens, Forbach, ...) et plus généralement dans les zones urbaines peu motorisées du Nord, de l'Est et de la zone méditerranéenne. Cependant, ces exemples ne constituent pas les noyaux de groupes bien distincts, mais plutôt les extrémités d'un continuum. On retrouve à peu près la même structuration des Z.P.I.U., quoique plus contrastée, quand on analyse les ménages qui ont plusieurs voitures ; c’est seulement pour les très grands bassins (Paris, Lyon et Lille) que l'effet de la composition sociale est plus faible sur la seconde voiture que sur la motorisation globale (nombre moyen de voitures par ménage).
2 “ VERS LA SATURATION : AFFAIBLISSEMENT DF LA STRUCTURE SOCIALE ?
La transformation de la structure sociale a aussi une influence sur l'évolution de la motorisation, mais d'autres facteurs sont plus importants. C'est le cas notamment de la saturation : plus le niveau d'équipement atteint en 1975 est élevé, plus la progression de la motorisation est faible. Pour la moitié des ménages qui réside dans les communes les moins denses, l'évolution de la composition sociale et le phénomène de saturation se disputent le rôle dominant ; dans les zones plus denses, les modifications de la composition sociale constituent un facteur mineur d'évolution de la motorisation.
Si l'on reprend la description de la situation en 1982, l'impact de la structure sociale est moins net chez les jeunes (personnes seules et couples de moins de 35 ans) que chez leurs aînés. On peut donc penser qu'à long terme, avec l'évolution du parc automobile vers la saturation, la différenciation sociale de l'équipement tendra à diminuer lentement entre les communés. Les distinctions proviendront alors plutôt de l'âge et de la puissance des véhicules : voitures anciennes et plutôt modestes dans les départements ruraux du Centre-Ouest (Lot, Vienne __), grosses voitures récentes en Ile-de-France (surtout à Paris). Mais, même pour l'âge des véhicules, les différences entre départements tendent à se réduire.
3 - DENSITE : LA PART DE L'HABITAT INDIVIDUEL DOMINE.
La densité de population est un critère de description des régions urbaines plus souple que la distance au centre-ville qui en donne une image trop uniformément concentrique. De plus, l'exemple du cœur de l'agglomération parisienne, zone la moins motorisée après les petites îles bretonnes et vendéennes, montre bien que les problèmes de stationnement et d'encombrement constituent un frein à l'équipement des ménages en automobile. Parmi les différentes manières de quantifier cette densité (nombre d'habitants par hectare, nombre moyen de logements par immeuble, part du "grand collectif", ...) c'est la proportion de ménages vivant en maison individuelle qui a le meilleur pouvoir explicatif.
Pour décrire la motorisation en 1982, ce facteur n'est dominant que dans l'agglomération parisienne ; ailleurs, il est au second plan derrière la structure sociale. Son influence est uniforme dans la plupart des grandes Z.P.I.U. de province : ce critère ne permet donc pas de les classer.
En évolution, la part de l'habitat individuel joue un rôle mineur pour la moitié des ménages qui résident dans les communes les moins denses.
Par contre, il dispute la première place au phénomène de saturation dans les villes ; dans ces zones denses, on a aussi pu mettre en évidence un effet propre négatif de la régression de l'habitat individuel.
4 - L'EQUILIBRE AVEC LES TRANSPORTS COLLECTIFS.
Autour de Lille et moins nettement autour de Lyon, les voies ferrées passent dans des communes moins motorisées que leurs voisines ; mais la structure sociale explique entièrement ce phénomène. On a aussi remarqué que la liaison entre motorisation et composition sociale est d'autant plus forte que la desserte par les transports en commun est bonne (Paris, centre de l'agglomération lilloise, ...). A contrario, l'impact plus faible de la structure sociale dans les zones mal desservies peut s'interpréter comme une contrainte de motorisation quel que soit le niveau de vie du ménage faute d'une alternative valable pour assurer les déplacements.
En évolution, on n'a pas constaté d'influence spécifique de l'ouverture du métro de Lyon sur la motorisation des ménages en dehors des zones où deux lignes sont en correspondance. Par ailleurs, la progression des ménages de retraités induit une stagnation de la proportion de ménages sans voiture dans certaines grandes communes de banlieue ; or, ces communes sont généralement desservies par de bons réseaux de transports collectifs (Caen, Angoulême, Pau, ...).
Les contraintes liées aux déplacements domicile-travail n'ont pu être appréhendées que par la proportion d'actifs qui ont leur emploi dans la commune où ils résident. Cet indicateur de trajets courts a un impact négatif sur la motorisation dans un bon nombre de grands bassins d'emploi en province. Par contre, en région parisienne, les communes sont vraisemblablement trop vastes pour qu'un tel effet puisse être mis en évidence.
En général, les facteurs que nous venons de présenter décrivent bien la répartition spatiale de la motorisation en 1982 ; les évolutions sont un peu plus difficiles à cerner. Dans les cas où les modèles sont médiocres, nous avons cherché à isoler les facteurs spécifiques en cause. Ils peuvent être imputés à des composantes locales (insularité, enneigement ...) ou démographiques (forte disparité de possession du permis de conduire entre hommes et femmes âgés). L'essentiel du territoire semble pouvoir être décrit avec des modèles assez homogènes ; seules les zones très denses (cœur de l'agglomération parisienne et des grandes métropoles de province) se distinguent nettement : impact maximum de la composition sociale et de la structure d'habitat. Il faudrait introduire des données sur les transports collectifs et sur le stationnement pour améliorer les modèles d'évolution dans ces zones.