De l'éducation des élèves au management des établissements Proviseurs, principaux et adjoints

M. Legros - S. Binard

Sourcing Crédoc N°Sou1991-723

Résumé

Parmi les nombreuses études et recherches portant sur le système scolaire, les travaux relatifs aux chefs d’établissement n'occupent pas une place particulièrement importante. Aucun auteur ne semble avoir rejeté ce thème pour son manque d’intérêt propre mais l’étude de l’établissement, et encore plus celle portant sur les chefs d’établissement en tant que tels, échappaient traditionnellement aux paradigmes utilisés par les chercheurs pour appréhender la complexité de la nébuleuse éducative. La question qui traverse l’ensemble des recherches depuis plusieurs décennies est celle de la reproduction des inégalités sociales et plus largement des inégalités de réussite des enfants à l’école. A la thèse des déterminants économiques s’opposent les travaux de ceux qui tentent de situer la différence dans l’ordre de l’individualité, de la personne et de sa psychologie. Ce paradigme de la reproduction occulte le rôle de l'établissement pour se focaliser sur le fonctionnement du système scolaire et, en particulier, sur le rôle des filières qui permettent de différencier les parcours des élèves, le plus souvent en fonction de leur capitaux sociaux. Parce que la filière est prédominante dans cette logique d’orientation et de sélection, l’établissement qui peut rassembler plusieurs filières n’apparaît pas comme un point de vue satisfaisant sur l’ensemble du système scolaire. Par ailleurs, la centralisation de la réglementation en matière scolaire rapproche du cœur même de l’Etat l’analyse des mécanismes qui génèrent ou qui entretiennent les inégalités sociales.

Les autres auteurs qui ont analysé de manière plus fine les mécanismes de la reproduction, même s’ils les ont cités n’ont pas attaché une importance très grande, dans leur approche du rôle de l’éducation, aux lieux éducatifs où s'opéraient les différentes formes de sélection. Ainsi, dans une perspective d’étude de la reproduction, l’établissement constitue une véritable boîte-noire.

La seconde approche des réalités éducatives porte sur la nature même de l’acte éducatif et place la relation maître-élève au centre de son intérêt et de sa démarche de connaissance. Dans cette hypothèse, la classe, lieu privilégié et quasi exclusif de la relation pédagogique, devient le champ d’investigation prioritaire. Les travaux des cogniticiens et des analystes le disputent aux spécialistes des sciences de l’éducation. Pour cette approche, la classe est constituée en un monde à part, que vient parfois troubler la présence d’un inspecteur, l’interrogation du représentant d’une association de parents d’élèves ou l’intervention du chef d’établissement, revêtu alors d’un pouvoir de sanction et de légitimation supérieur à celui de l’enseignant. Si le chef d’établissement peut être un tiers dans cette relation duelle, cela ne suffit pas pour donner du corps à l’établissement qui abrite une succession de classes et dont l’architecture même n’est qu’une juxtaposition de classes.

Par rapport à ces approches, l’intérêt marqué pour les chefs d’établissement dénote un déplacement de point de vue et probablement un changement de paradigme dans la compréhension du système scolaire.

Ce changement de regard ne nous semble pas anodin et il faut rappeler qu’il provient d’abord de l’institution elle-même. L’étude dont ce rapport rend compte émane d’une commande de la Direction de l’Evaluation et de la Prospective du Ministère de l’Education Nationale soucieuse de constituer, par plusieurs interrogations successives, un ensemble de connaissances cohérentes sur les chefs d’établissement.

Si l’on admet avec François DUBET que toute réalité sociale peut se lire du point de vue des acteurs ou du point de vue du système, il arrive parfois que des acteurs occupent dans le système scolaire une place particulière. Ce rapport décrit, par conséquent, des acteurs, les chefs d’établissement, dont on peut penser qu’ils occupent dans le système scolaire une place tout à fait particulière. Avant d’expliciter ces particularités, on peut essayer de rendre compte des évolutions qui ont conduit à s’intéresser aux établissements, et à l’intérieur des établissements à ceux et celles qui sont revêtus du titre de chef.

Les limitations du collège unique, la montée des effectifs dans les lycées, la redécouverte, cette dernière décennie, du thème de l'échec scolaire, les insuffisances, apparentes ou réelles, de l’appareil de formation à s’adapter à la situation de tension sur le marché du travail, et d’autres éléments encore, sont les symptômes mais aussi les conséquences probables d’un dysfonctionnement organisationnel du système scolaire. La nouveauté de l’époque réside, en partie, dans le mode de réponse adoptée et dont la direction majeure est celle d’une plus grande souplesse accordée au local. Si la décentralisation n’a pas donné lieu dans le domaine de l’éducation à un transfert vers le local aussi important que dans le secteur social, il n’en est pas moins vrai qu’un réel mouvement d’ancrage territorial des politiques s’est développé et dont témoigne, par exemple, la circulaire n°88-354 du 21 décembre 1988 reconnaissant aux établissements une marge d’initiatives leur permettant de s’engager dans l’élaboration d’un projet d’établissement “à partir de l’analyse de (leur) public, du suivi des élèves et de leur devenir”. Dans un système centralisé, la souplesse plus grande conférée au local apparaît comme un remède efficace. A cela s’ajoutent les travaux sur la modernisation des entreprises et des services.

Dans ce contexte, l’établissement apparaît comme l’institution de base. De ce point de vue, face aux politiques impulsées nationalement, les établissements ne restent pas inertes et développent, sous une forme ou sous une autre, des actions dans le cadre de ces programmes : ZEP, PAE, usage du fonds d’aide à l’innovation ..

Pour comprendre les modes d’appropriation par les établissements de ces nouvelles formes de travail et leurs effets en termes de production et d’efficacité, le Ministère de l’Education Nationale a engagé une démarche d’évaluation à deux faces. La première consistant à créer de nouveaux outils de mesure de la performance ou à affiner de plus anciennes méthodes, la seconde consistant à analyser des établissements pour comprendre leur fonctionnement1. Ainsi, François DUBET dans trois collèges, Robert BALLION, Denis BAYART et Paul MAYER dans trois lycées polyvalents ont procédé à la réalisation de monographies sur des établissements.

Or, au moment où l’établissement constitue un objet prioritaire d’étude, rejoignant en cela un courant de recherches plus développé en Angleterre, les résultats des monographies mettent l’accent sur le rôle des facteurs humains dans l’explication des différences entre les établissements. Ainsi, pour François DUBET, “la stratégie adoptée par le principal paraît être un élément déterminant de mobilisation. Une grande partie du succès de la mobilisation dans le collège “bleu” doit être attribuée à la stratégie extrêmement adroite du principal qui a protégé les enseignants mobilisés mais n'a pas forcé la main aux autres..”.

Ce résultat rejoint de très nombreux travaux portant sur la modernisation du secteur public qui insistent fortement sur le jeu des leaders et sur le rôle d’éléments dynamisants et moteurs dans la conduite du changement. Par rapport à l'analyse organisationnelle classique, ce résultat peut paraître un retour en arrière, pour le management au quotidien des établissements scolaires, il est probable que ce rappel est d'une réelle importance.

L’étude entreprise par le CREDOC à la demande de la DEP s'inscrit dans ce mouvement de connaissance des chefs d'établissement de l’enseignement public secondaire. Entreprise dans une logique de panel, cette première étude devait, à la fois, apporter des informations globales sur les chefs d’établissement et fournir des éléments permettant de décrire les attitudes et les représentations de leur fonction.

Avant le lancement de cette première enquête auprès d’une population de chefs d’établissement, une enquête qualitative a été effectuée auprès de cinquante chefs d’établissement par Mme LENEVEU, chargée de recherche et de formation à l’université de Rouen et par Mr KOKOSOWSKI, professeur à cette même université. Les thèmes abordés au cours des réunions de groupe et des entretiens individuels ont porté sur les aspects suivants de l’exercice professionnel du chef d’établissement :

- ses partenaires et son environnement social,

- son itinéraire et ses projets,

- le fonctionnement interne de l'établissement.

Le contenu de ces entretiens, complété par une série d'échanges avec les membres de la Direction de l’Evaluation et de la Prospective, a permis d’élaborer un questionnaire dont les principaux thèmes s’articulent autour des problèmes suivants :

- les services du Ministère de l'Education Nationale ne disposent pas d’information sur la trajectoire et la carrière des personnels de direction, le questionnaire correspondant à la première vague d’enquêtes auprès des chefs d’établissement du second degré avait pour objectif de créer, sur un échantillon limité, ces différentes informations. Les questions 1 à 13 décrivent la situation actuelle du chef d’établissement sur une trajectoire institutionnelle (échelon, catégorie, différents postes cette rubrique inclut également des questions portant sur le devenir professionnel envisagé.

- un deuxième groupe de questions permet d’appréhender l’image que les chefs d’établissement peuvent avoir de leur fonction et de leur rôle (questions 14 à 20).

- l’image de l’établissement et les difficultés rencontrées à l’occasion de sa gestion font l’objet de trois questions.

- enfin, dix questions portent sur les priorités que peuvent avoir retenues les chefs d’établissement pour faire évoluer leur établissement. Ce bloc de questions se conclut par deux demandes relatives aux relations entre les chefs d’établissement et les Rectorats et les Inspections d’Académie.

- dans le cadre de la préparation de la seconde vague d’enquêtes, une question a été posée concernant les thèmes qui devraient être abordés lors des prochaines interrogations.


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