Résumé
En ce début d’année 2012, le moral de nos concitoyens rechute brutalement. Les légers progrès enregistrés ces deux dernières années ont été effacés d’un trait. Nous nous retrouvons aujourd’hui quasiment au point bas de la crise de 2009, année marquée par un record historique du mécontentement social depuis la fin des années 1970.
L’insatisfaction se manifeste dans de multiples dimensions : accentuation du sentiment de perte de pouvoir achat, resserrement des contraintes budgétaire, pessimisme face à l’avenir, grande prudence en matière de consommation. Le tout fondé sur une peur de plus en plus prégnante du chômage pour ses proches ou pour soi-même. La crainte du chômage est telle qu’une partie de nos concitoyens se demandent s’ils pourront compter sur l’aide de leurs proches en cas de difficulté. Malgré la vivacité des solidarités familiales, le sentiment de ne pouvoir compter que sur soi-même se diffuse, la confiance dans autrui s’étiole.
Ce pessimisme est d’autant plus préoccupant qu’il s’enracine depuis maintenant plus de trois ans. Le scénario d’une reprise en W, évoqué l’an dernier, se confirme. Le retour vers la confiance et l’optimisme sera sans doute long. Cette prolongation du désarroi pourrait être le terreau de changements de comportements et d’attitudes durables. Nous avions avancé l’idée, l’an dernier, d’un réajustement des priorités chez les consommateurs, ordonnées selon un principe simple : faire en sorte de maintenir sa qualité de vie malgré un pouvoir d’achat qui se contracte. Cette tendance, qui se manifeste par des arbitrages de consommation en faveur de produits jugées plus « utiles » ou plus « essentiels », devrait se trouver renforcée cette année.
Une autre tendance observée ces dernières années semble en revanche être remise en question par la conjoncture particulière de 2012. Généralement, les périodes de crise économique se caractérisent par une plus grande compassion de l’opinion publique à l’égard des plus démunis. L’augmentation du taux de pauvreté constatée lorsque le taux de chômage augmente se traduit, dans l’opinion, par une plus grande attente à l’égard des pouvoirs publics : le soutien aux politiques sociales et à la lutte contre la précarité est plus vif. Cette année, compte tenu des enjeux qui pèsent sur les finances publiques, nos concitoyens semblent un peu moins demandeurs d’intervention auprès des plus démunis. Ayant le sentiment que les inégalités vont croissantes, ils sont de plus en plus nombreux à souhaiter un renforcement de la taxation des hauts revenus. Il ne s’agit plus forcément, dans l’opinion — et notamment au sein des classes moyennes —, de dépenser plus en direction des plus modestes, mais plutôt de mettre davantage à contribution les plus aisés.
La demande de régulation déjà, repérée l’an dernier, se renforce encore cette année. Cette attente repose sur la croyance que les pouvoirs publics disposent de marges de manoeuvre par rapport aux mécanismes économiques et aux marchés financiers. En particulier, le sentiment que le système bancaire et financier devrait être davantage régulé se consolide en 2012 — il était déjà très fort l’an dernier. En définitive, les attentes vis-à-vis de l’État ne se limitent pas à un souhait de redistribution — horizontale ou verticale —, les Français en appellent également au rôle d’arbitre des pouvoirs publics.
Il faut dire que, depuis une dizaine d’années, s’est renforcée la conviction que la mondialisation des échanges joue un rôle déterminant dans le fonctionnement des économies nationales. Nos concitoyens se disent que, de même que la crise financière née aux États-Unis s’est propagée jusqu’en France, la globalisation des activités à l’échelle de la planète peut se traduire par des délocalisations et des destructions d’emplois sur notre territoire. L’opinion est aujourd’hui majoritairement défiante vis-à-vis de la mondialisation, alors qu’elle en percevait surtout des avantages au début des années 2000. Dans le même temps, le désir d’Europe s’est affaibli : aujourd’hui, les défenseurs d’une plus grande souveraineté nationale l’emportent sur les partisans d’une meilleure intégration. L’Euro, qui était, au moment de son introduction perçu comme un levier de croissance, est aujourd’hui jugé en partie responsable de la hausse des prix et de l’érosion du pouvoir d’achat. Certains de nos compatriotes ne croient plus que l’Euro ou l’Europe puissent être un rempart contre effets négatifs de la mondialisation.
Dans ce tableau très sombre, relevons la confirmation d’un changement sociétal profond : les seniors, longtemps restés en marge du mouvement de diffusion des technologies de l’information et de la communication, s’approprient de plus en plus les nouveaux outils numériques. Ces trois dernières années, les sexagénaires, en particulier, ont quasiment rattrapé leurs cadets, à la fois en termes d’équipements, d’usages ou de représentations. Le fossé numérique générationnel semble en voie d’être comblé, au moins pour les plus jeunes de nos aînés. Cela ouvre non seulement des perspectives économiques à tous les acteurs du secteur, mais cela devra aussi conduire l’ensemble du tissu économique et social à imaginer de nouveaux services qui s’adressent à l’ensemble de nos concitoyens, toutes générations confondues.