Résumé
En 1988, comme au début des années 1980, environ 30% des personnes interrogées déclarent qu’il existe des problèmes sérieux de déplacements dans leur localité. Les critiques portent très largement sur l’absence ou l’insuffisance de transports collectifs, surtout dans les zones les plus rurales ; la proportion des personnes insatisfaites a eu plutôt tendance à croître dans les villes, davantage, semble-t-il, par une mise en cause de l’organisation des transports en commun que par la saturation du trafic (problèmes de circulation, qui sont plus souvent évoqués dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants). La progression des mécontents en région parisienne pourrait s’expliquer en partie par la période de grèves qui sévissaient au moment de l’enquête ; en outre, les difficultés de liaison entre banlieues paraissent typiques de la région parisienne.
Pour l’ensemble des interviewés, évoquer les problèmes de déplacements, c’est donc beaucoup plus souvent se référer aux transports collectifs que mettre en cause la densité du trafic automobile. Cette observation peut-elle, dans une certaine mesure, expliquer les attitudes face à une mesure destinée à améliorer la circulation en ville ? Le problème posé ne revêt-il guère d’acuité ou est-ce plutôt la mesure elle-même qui déplait ?
En effet, la proposition de limiter l’utilisation de l’automobile pour améliorer la circulation en ville rencontre peu de faveur à l’automne 1988 : 24% des personnes interrogées expriment leur accord total ("tout à fait d’accord"), alors que 25% font part de leur profonde hostilité ("pas du tout d’accord"). Les réponses à cette question ont connu une forte évolution : le vif intérêt qui était manifesté en fin 1981 (38% de "tout à fait d’accord" et 11% de "pas du tout d’accord") n’a cessé de s’éroder au fil des ans et des enquêtes pour aboutir à un rejet. L’opposition, cantonnée initialement à certaines catégories sociales (jeunes de moins de 25 ans, hommes actifs et ruraux), a progressivement gagné d’autres groupes, qui y étaient auparavant très favorables (personnes âgées, citadins et parisiens). Quelle sera l’évolution ultérieure ? Ces attitudes s’inscrivent-elles dans un contexte de libéralisme, de refus des contraintes et des limitations autoritaires à la liberté individuelle ?
L’insatisfaction émane d’une population plutôt jeune, masculine (notamment des hommes actifs) et caractérisée par une mobilité automobile très forte. La localisation du domicile n’influe guère, sauf à propos :
- des autoroutes, pour lesquelles les habitants de la région parisienne manifestent plus souvent leur insatisfaction;
- des "autres routes", où le fait de résider dans les plus petites agglomérations et le sud- ouest correspond à une proportion plus forte d’insatisfaits.
Le sentiment de mécontentement est souvent associé à un refus des contraintes (mesures de sécurité routière, limitation de la voiture en ville) et à l’affirmation d’un certain individualisme (port de la ceinture de sécurité, rejet sur l’Etat de l’effort pour améliorer la sécurité routière). Les Français se déclarent, en grande majorité, satisfaits du réseau routier national : 77% à propos des autoroutes, 73% des routes nationales et 52% des "autres routes". La satisfaction exprimée pour un type de voie s’étend assez généralement à l’ensemble du réseau.
Le fait d’être satisfait d’un type de voies n’empêche nullement de formuler des critiques ou de proposer des améliorations à faire ou à poursuivre. Malgré un taux de satisfaction globale très voisin, les jugements portés sur les autoroutes sont très différents de ceux qui sont émis à propos des routes nationales.
Les autoroutes prêtent relativement peu à critiques (des appréciations très positives sont même relevées). Les reproches sont en petit nombre et portent pour l’essentiel sur leur coût d’utilisation (péages et services). Le thème de la sécurité est plus évoqué pour mettre en cause le comportement des autres automobilistes, que pour juger la qualité du réseau autoroutier.
Les routes nationales font l’objet de critiques plus nombreuses et plus variées ; la matière en est aussi plus souvent "technique".
Une bonne partie des critiques portent sur l’infragéométrie: largeur insuffisante, traversée des agglomérations, manque de modernisme, inadaptation aux besoins du trafic...
L’état de la chaussée est presque autant critiqué, soit pour porter un jugement global ("l’état de la chaussée en général"), soit pour impliquer "le mauvais (ou manque) d’entretien", ou encore signaler des problèmes particuliers tenant à des conditions locales ou saisonnières.
Le troisième thème abordé a trait à la signalisation (mise en cause globale, mais aussi marquage horizontal et vertical et éclairage défectueux).
Citons encore les préoccupations relatives à la sécurité (en relation avec d’autres critiques) et aux temps de parcours (limitations de vitesse, encombrements ou travaux).
En matière de sécurité routière, les déclarations des interviewés (à défaut des statistiques nationales sur les trop nombreux accidents) relèvent d’un très large consensus "pro-sécuritaire":
* 90% des enquêtés pensent qu’il est "possible de diminuer le nombre des tués et des blessés dans les accidents de la circulation";
* 89% estiment que "chaque individu (est) responsable de sa sécurité et de celles des autres", alors que 10% s’en remettent à "l’Etat et à la collectivité";
* 81% considèrent que "les limitations de vitesse sont indispensables pour la sécurité";
De même, on s’accorde généralement à donner tort à certains comportements, qui mettent "la vie des autres en danger":
* 78% des réponses à propos de celui "qui dépasse les limitations de vitesse";
* 90% à propos de la "conduite en état d’alcoolémie".
Dans ces opinions, l’importance accordée aux limitations de vitesse est tout à fait discriminante ;
* ne sont pas d’accord sur leur principe et sur leur contrôle, "les gros rouleurs" et les personnes ayant d’une façon générale une forte mobilité (nombreux voyages, voyages professionnels), plutôt insatisfaites du réseau routier, "très défavorables" au contrôle technique automobile ; il s’agit plus souvent d’hommes jeunes, parisiens, diplômés de l’enseignement supérieur ; dans les grandes classes d’opinions, il est donc assez naturel de les retrouver chez les "modernistes" ;
* sont favorables à ces mesures contre la vitesse, plutôt les personnes inquiètes, roulant relativement peu, et soucieuses du "respect de la loi" ; il s’agit plus souvent de femmes ou d’hommes plutôt âgés et des habitants de la province ; on retrouve ici plutôt des "traditionalistes".
En dehors d’un effort personnel de chaque individu, quels sont les "acteurs" potentiels d’une amélioration de la sécurité routière ("parmi ceux qui agissent ou doivent agir pour améliorer...") ? Les avis sont, à ce sujet, beaucoup plus partagés.
* Cependant, une action importante est accordée aux médecins et services d’urgence (38% des personnes estiment qu’ils "font beaucoup pour améliorer la sécurité"), aux policiers et gendarmes (30%), aux médias (26%) et aux associations de victimes (25%).
* Par contre, paraît peu crédible l’action des chefs d’entreprises (48% des enquêtés déclarent qu’ils ne "font rien pour améliorer..."), des constructeurs automobiles (31%), des garagistes (29%) et des assurances (27%).
Les jugements portés sur ces actions pour améliorer la sécurité sur les routes sont fortement imprégnés des opinions et attitudes à l’égard de la société : les personnes satisfaites (de la justice, des conditions de vie, du cadre de vie...) répondent plus souvent "beaucoup" ; à l’inverse, les insatisfaits (refus des progrès technologiques, "des changements radicaux" pour la société...) donnent davantage la réponse "rien".
Le degré d’action prêtée (de "beaucoup" à "rien") décroît avec le niveau d’inquiétude et le degré de satisfaction du réseau routier. Nier l’action des "acteurs" potentiels, c’est aussi plus souvent se montrer nihiliste sur les mesures de sécurité routière.
Le principe d’un contrôle technique automobile est très favorablement accueilli : 50% des personnes interrogées se déclarent "très" favorables à son instauration et 32% "assez" favorables. Celles-ci sont en général plutôt "interventionnistes" (souhait de voir prendre des mesures pour résoudre divers problèmes abordés), inquiètes et soucieuses de sécurité (notamment pour améliorer la sécurité routière), exprimant leur satisfaction à divers propos. Elles sont aussi caractérisées par une forte mobilité, en particulier en voiture. Parmi les opposants, notons la présence d’ouvriers, d’habitants de la province de moins de 40 ans, d’hommes et l’affirmation d’un certain individualisme.
Cet accueil ne semble pas pour autant devoir entraîner une profonde modification des attitudes : 61% de la population motorisée déclare qu’elle "ne changera pas ses habitudes" lors de la mise en place de ce contrôle ; cette réponse émane plus souvent d’hommes, de personnes âgées ou de retraités, mais aussi de personnes qui sont défavorables au contrôle et plus généralement hostiles aux diverses mesures proposées dans l’enquête. A l’inverse, pensent "changer d’habitudes" plutôt des femmes, des jeunes provinciaux de moins de 40 ans et des personnes qui semblent connaître quelques tensions budgétaires.
Changer d’habitudes, c’est presque toujours songer à faire réparer plus rapidement les points défectueux (90%) ; c’est aussi éviter d’acheter des voitures de plus de 4 ans (48%), alors que renouveler la voiture avant l’âge du contrôle est une hypothèse beaucoup moins souvent retenue (20%).
Une simulation des comportements en fonction du coût estimé des réparations selon l’âge de la voiture, montre que, sur 100 voitures de plus de 5 ans qui seraient soumises au contrôle technique :
- 73 seraient réparées si nécessaire (dont 46 en faisant appel à un garage)
- 21 seraient remplacées
- 6 seraient donc abandonnées sans être remplacées (soit plus de 3% du parc dont disposent les ménages).
Cette dernière solution est toujours la moins fréquente, et le changement de véhicule se fait le plus souvent au profit d’un achat d’occasion (dans la proportion de trois achats d’occasion pour un achat neuf, dans les différentes hypothèses).