Espace et modes de vie Synthèse

I. Aldeghi - N. Tabard

Collection des rapports N°R10

Résumé

Les hypothèses formulées dans la réponse de l’appel de proposition de recherches de la C.N.0.F. "Logement, habitat et conditions de vie des familles" sont largement vérifiées.

La structure socio-économique de l’espace représente le stade amont avec tout ce que ce programme nous a fait découvrir : l’ampleur et les formes distinctes de la ségrégation sociale dans le département de l’Essonne, le rôle dans l’accroissement des inégalités spatiales des secteurs d’activité économique dynamiques, et la fixation de certaines catégories de main-d’œuvre, le rôle du secteur HLM et, corrélativement, du logement des salariés de l’Etat dans le peuplement d’un département et le déséquilibre social des communes, le mode de croissance des communes et les distances sociales et spatiales intra-communales qui en résultent.

Le bâti constitue le stade intermédiaire - on met sous ce terme les formes du logement, leur statut ou celui des bailleurs. Il est directement induit par la structure socio-économique de l’espace. Ce qui signifie que les habitants de maison ne sont pas les mêmes (statut social, origine géographique, ressources) que les habitants d’appartement, propriétaires ou non, et sont spatialement éloignés ; cela signifie encore que l’habitat en HLM bien que très hétérogène est spécifique par rapport à toutes les autres formes d’habitat et correspond à un environnement différent, tant sur le plan de l’urbanisme que sur le plan social ou professionnel.

Les comportements forment le troisième stade de cette présentation, directement produits par les deux autres. C’est d’abord le logement sous l’aspect des financements, des trajectoires, du confort... Puis en bout de chaîne, étroitement dépendants de tout ce qui précède : l’équipement des ménages, la production domestique, les formes de solidarité propres à certains lieux et à certaines conditions de logement, l’accès à la distribution commerciale.

Les résultats apportent des éclairages aux préoccupât ions de la C.N.A.F. telles qu'elles s’expriment dans l’appel de proposition de recherches. Citons-en quelques exemples :

. Les mécanismes de production des différentes catégories de logement social, l’effet ségrégatif des politiques urbaines et d’habitat, le hiatus entre habitat et emploi - pour ce qui est de la production de l’espace.

. Les conditions d’accès au logement qui infléchissent les "stratégies" des familles ou pour un bon nombre les contraintes et l’absence de choix, la mise en évidence des caractères sociaux et spatiaux contribuant à la précarité des situations, les processus d’exclusion et de "périphérisation", la lourdeur des charges (même des charges minima) du logement qui font passer au second plan le problème (figurant dans les préoccupât ions de la CNOF) de l’ignorance des familles quant aux engagements financiers qui pèseront sur elles... - pour ce qui est des facteurs d’inégalité et de reproduction sociale liés au peuplement.

. Les pratiques économiques d’autoproduction et d’échanges que permettent certains types d’habitat et au contraire l’isolement que génère l’habitat des plus démunis - pour ce qui est des caractères associés à la pauvreté.

Un déséquilibre social croissant

Dans un département et même dans une aire plus limitée - car on pourrait ne regarder que la partie nord de l’Essonne, apparaît de façon quantifiée, une ségrégation sociale qui ne peut que s’aggraver. Le déséquilibre social est plus inter—communal qu’intra-communal. Par opposition à la diversité interne aux vieux centres, les portions d’habitats récents (ville nouvelle ou extension récentes des communes) apparaissent en effet chacune relativement homogène, inégales dans leur ensemble. La localisation circonscrite à l’ouest d’unités de production à technologie avancée joue un rôle prépondérant dans ce déséquilibre, amorçant une polarisation qualitative des emplois dans ce département.

Ceci au prix d’un mode significatif de dépeuplement puisque la population des communes ouvrières diminue d’un recensement à l’autre, A ce déclin est probablement associé le poids étonnamment faible des habitants de l’Essonne nés dans l’Essonne qui sont le plus souvent d’origine ouvrière. Ces Essonnois d’origine, les moins aisés parmi les Français, forment maintenant une petite minorité qui semble se maintenir grâce à un réseau d’entraide, une familiarité aux lieux, une connaissance des circuits qui leur permet de résider dans les vieux centres, souvent en HLM alors que la majorité des HLM sont construits à la périphérie.

L’intégration des nouveaux-venus s’annonce difficile

L’arrivée de nouveaux-venus se fait dans des conditions qui risquent, à terme, d’être génératrices de problèmes, mis à part pour les Parisiens d’origine qui, dans l’ensemble, semblent bien installés dans l’Essonne.

Les provinciaux, qui constituent une forte proportion des nouveaux arrivants, paraissent "déplacés", peu stabilisés, ceci malgré leur niveau de ressources en moyenne assez élevé. Leur localisation très périphérique ne favorise pas une bonne intégration locale.

Les catégories ouvrières non originaires de l'Essonne, qu’elles viennent de l’étranger ou du reste de la France, se retrouvent reléguées dans des quartiers de grands ensembles où l’habitat semble dégradé. Les réseaux de solidarité et d’entraide sont difficiles à reconstituer pour ces ménages qui vivent de façon aiguë le manque de perspective dans leur trajectoire résidentielle. La maison individuelle, condition favorisant la plus grande autonomie par rapport aux services marchands, leur est pratiquement inaccessible dans ce lieu en orbite de Paris où la pression foncière est forte. Et même en HLM, leurs loyers sont très élevés.

Une analyse de la morphologie socio—économique des quartiers qui pourrait être généralisée

La prise en compte de la morphologie socio-économique des quartiers maximise les inégalités et ce faisant rend plus lisibles leurs composantes en faisant apparaître des différences à 1’intérieur d’un même groupe social, des situations formellement identiques mais s’opposant du point de vue de la trajectoire.

Un intérêt de ce programme est l’objectivation des transformations qui s’opèrent dans l’espace. Il fournit des instruments de mesure au sens strict pour des phénomènes traités ordinairement de façon qualitative. On a vu qu’on pouvait repérer tous les quartiers des grandes villes de l’Essonne dans un système de coordonnées et ainsi apprécier tout à la fois leur situation relative (leur degré d’homogénéité du point de vue social ou celui du bâti...) et le pourquoi de cette situation : les politiques d’aménagement local, les qualifications requises dans l ’environnement.

On a vu apparaître des déséquilibres liés à l’évolution du système productif et à la proximité de Paris, bref à la gestion de la main-d’œuvre à la fois du point de vue des entreprises et de l’Etat.

Pour contribuer à l’aménagement du territoire, il serait souhaitable que ce travail soit étendu à l’ensemble de l’Ile-de-France ; les communes n’y sont pas intégrées dans les mêmes champs de ligne de force, mais subissent toutes la domination de la capitale.

Problématique très enrichissante pour la connaissance, 1’inscript ion socio-spatiale pourrait fournir un cadre nouveau de réflexion pour la politique sociale et familiale, voire même d’expérimentation pour des actions locales, permettant de prévoir les effets pervers ou d’élaborer des critères pertinents d’appréciation des situations.


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