Résumé
La nouvelle théorie du consommateur a renouvelé la théorie traditionnelle des choix par deux apports essentiels : (i) le consommateur maximise une fonction d’utilité dont les arguments ne sont pas les quantités de biens et services mais les attributs qu'ils incorporent ; (ii) ces attributs sont "produits" par les consommateurs en combinant des biens et services achetés sur le marché ou produits à domicile avec le temps dont disposent les individus. Cependant, cette nouvelle théorie n’a pas effacé la répugnance persistante de l’approche économique à expliquer la formation des goûts. Certains économistes vont jusqu’à en faire une composante de leur paradigme : les goûts sont supposés stables et identiques car, en réalité, les consommateurs recherchent les mêmes plaisirs fondamentaux et ne diffèrent entre eux que par leur efficacité à les produire. Nous renversons cette perspective, d'une part en contestant la nécessité de maintenir le postulat d'homogénéité et de stabilité des préférences, d’autre part en appliquant les outils de l'analyse économique à l’étude de la formation des choix, ce qui permet d'adopter un concept de rationalité plus en conformité avec les moyens scientifiques actuels des économistes.
Le premier chapitre contient un modèle de formation des choix inspiré de l’analyse statistique des décisions et permettant l’abandon du postulat de l’homogénéité et de la stabilité des préférences. Il part de l'idée que les individus ne connaissent pas leurs préférences intrinsèques. Leurs décisions ne tiennent compte que des caractéristiques perçues des objets de choix, c'est-à-dire d'une information incomplète. Aussi recherchent-ils de l’information pour augmenter leur confiance dans leurs choix, ou diminuer la probabilité subjective de se tromper. L'emploi du concept de confiance donne une meilleure compréhension des phénomènes ayant trait à la stabilité ou à l'instabilité des choix, comme les habitudes, les impulsions, les manies, les normes sociales et les comportements irrationnels. Il permet aussi d’analyser simplement les mécanismes qui économisent la recherche d'information, comme la publicité et l'influence.
Un deuxième chapitre étudie de façon approfondie la demande d’information des consommateurs. Les mérites respectifs des théories économiques de l'information y sont analysées sur le double plan de la théorie et de l'interprétation des faits. La théorie de la prospection usuelle a l'avantage d'être relativement simple, mais elle n'explique pas vraiment pourquoi l'influence d’un autrui compétent (recherche impersonnelle) peut être préférée à une recherche personnelle, ni comment s'effectue le choix de la source d’information quand il y en a plusieurs. La supériorité de la théorie de la perception développée ici provient du fait qu'elle seule analyse la valeur de l’information recueillie par le consommateur. Un sens plus précis peut être ainsi donné a des concepts aussi importants que la difficulté ou la liberté des choix personnels, dont les déterminants sont examinés en détail. On étudie ensuite, sur deux enquêtes, la façon dont s'effectue le choix du moyen d’information et les effets différents de l'âge et du niveau d'instruction dans les comportements de recherche d’information. On vérifie d’abord que l’information émanant des producteurs 'respecte moins bien les préférences intrinsèques des consommateurs que les essais comparatifs ou l’expérience personnelle, ce qui ne l'empêche pas d'avoir une influence décisive dans de nombreuses circonstances. Gn vérifie aussi que les jeunes sont de gros demandeurs d'information dans la mesure où la recherche leur bénéficie beaucoup et leur coûte peu. En revanche, le comportement des personnes instruites soulève un paradoxe. En effet, elles devraient demander moins d'information que les autres parce que le coût d’opportunité de leur temps est plus élevé ; pourtant, elles connaissent et lisent davantage les revues de défense des consommateurs, ce qui suggère le contraire. Ce paradoxe est résolu en établissant que les personnes instruites ont en fait une productivité supérieure aux autres dans la recherche, à la fois sans doute parce qu’elles ont particulièrement développé cette aptitude par un exercice répété de la dite activité, et parce qu’elles sont les plus économes de leur effort personnel en ayant recours aux sources les plus crédibles et en se laissant influencer par elles. La classe moyenne instruite, dont la compétence et le prix du temps sont relativement élevés, délimite le groupe social des intermédiaires, ces spécialistes de la recherche impersonnelle qui établissent une communication indirecte entre le groupe restreint des innovateurs et la masse des imitateurs.
Le troisième chapitre tire des analyses précédentes les conséquences attendues pour la politique d’information et de protection du consommateur. L’émergence de ces préoccupations et de nouvelles institutions découle du sentiment que le marché tend à produire aujourd'hui un biais systématique dans les erreurs de décision des consommateurs. En effet, les producteurs sont incités à exagérer les qualités de leurs produits et à ne pas en révéler les caractéristiques nocives. Hais, normalement, la concurrence garantit que les mauvais produits seront éliminés parce qu'ils ne se vendront pas' longtemps. Or, un trait marquant de l'évolution contemporaine est que les choix personnels de consommation tendent spontanément à être plus coûteux et plus difficiles que jadis. Ceci tient à plusieurs causes qui sont analysées en détail : croissance des salaires, accumulation des ménages en capital physique, humain et financier, mouvement de différenciation des produits après une phase d'innovation majeure. Cette évolution tend à provoquer une érosion du niveau d’exigence d'équilibre des consommateurs et de la sanction naturelle du marché. C'est ainsi que se crée une nouvelle demande de certification de la qualité des produits, utilisant des moyens plus crédibles que la publicité et moins coûteux que l'expérimentation personnelle. Diverses procédures impersonnelles de certification remplacent progressivement ces moyens : garanties du vendeur, labels et marques réputées, codes déontologiques, utilisation du prix comme signal de qualité, création des agences de consommateurs et des essais comparatifs, règlementations des produits et ouverture de recours juridiques. Le caractère privé ou public de l'information diffusée établit sans doute une coupure significative entre les diverses procédures. Bien que les moyens d’information privée, comme les labels et garanties, soient peut-être plus économiques que les autres, on assiste à un développement sensible des agences de consommateurs et de la règlementation. Ce phénomène est interprété comme un mécanisme d’appropriation du revenu social (subventions budgétaires et pouvoir d’influence) par un groupe homogène de taille moyenne.