Jeunes en attente d'intégration professionnelle

B. Maresca

Collection des rapports N°R157

Résumé

Dans le cadre de ses travaux, la Commission des affaires sociales du Sénat s'est interrogée sur la perception qu'ont les jeunes demandeurs d'emploi des conditions d'accès au marché du travail, et sur la manière dont ils réagissent aux mesures susceptibles de les y préparer.

A partir d'entretiens approfondis menés auprès de soixante jeunes l'enquête du CREDOC apporte des éléments de diagnostic sur la situation de ceux d'entre eux qui cherchent à entrer dans la vie active, sur leurs stratégies de recherche d'emploi et d’adaptation à la période de chômage, sur la perception qu'ils ont de l'aide apportée par les mesures de la politique de l'emploi en faveur des "16- 25 ans", sur ce qu'ils attendent de l’insertion professionnelle.

Il en ressort les principaux éléments suivants :

1-Le refus du CIP, dont on voit bien qu'il a été massif, a été le fait autant des jeunes ayant des niveaux de qualification inférieur au bac que des sortants des formations de niveau bac+2. Si le principe d'un salaire amputé par rapport au SMIC a représenté, pour tous, l'aspect le moins acceptable, cette réaction s'éclaire par la manière dont les jeunes vivent leur situation, dans la période qui sépare la fin de la scolarité de l'accès au statut d'actif stable.

1 ces jeunes ont été choisis dans deux classes d'âge (20-22 ans et 24-26 ans), et à des niveaux de diplômes allant du niveau V (CAP, BEP) au niveau III (BTS, DEUG) ; ils ont été rencontrés dans différents organismes contribuant à l'insertion des jeunes de trois villes (Epemay, Marseille, Nantene)

2- Les jeunes qui sont à la recherche d'un premier emploi stable, n'en attendent pas principalement l'entrée dans une carrière professionnelle mais, avant tout autre chose, la possibilité de conquérir leur indépendance par rapport à leur milieu familial. L'emploi est recherché, principalement, comme source de revenu et de stabilité. Dans cette période de leur vie, les préoccupations dominantes sont de s'assurer une autonomie financière, de quitter le domicile des parents, de pouvoir s'installer dans une vie de couple. A mesure que le temps de chômage s'allonge, non seulement ils supportent de moins en moins bien de ne disposer que de faibles ressources personnelles, mais le sentiment d’échec et de culpabilité s'accroit fortement vis-à-vis de leur entourage.

3- L'accès à l'emploi est vécu comme un moment essentiel dans l'existence des jeunes : l'acquisition de l’indépendance est associée à l'idée d'accéder à une place dans la société, de pouvoir commencer véritablement sa vie, de satisfaire aussi le besoin d’affirmation de soi par la consommation. C'est l'imbrication de ces attentes qui conduit la très grande majorité d'entre eux à présenter la recherche de travail comme une préoccupation qui les mobilise totalement. On constate que les jeunes sont très peu nombreux à mener une forme de recherche que l'on pourrait qualifier de dilettante, ou bien à privilégier des formes d'emplois qui leur permettraient de retarder leur entrée dans l'activité permanente.

4- Passé un an d'attente, les jeunes vivent leur situation comme relevant de l'urgence, et privilégient les solutions s'inscrivant dans le court terme. Le désir de se sortir au plus vite de l'incertitude et des difficultés matérielles, la volonté de rester disponibles aux opportunités d'emploi pouvant se présenter, expliquent que la stratégie de la majorité des jeunes consiste à recourir massivement au circuit des petits boulots. Seule possibilité de répondre, dans le court terme, aux urgences financières, les petits boulots sont aussi le moyen de rompre le sentiment de vacuité et d'inutilité que les jeunes expriment massivement quand leurs recherches s’étirent dans la longue durée (le désœuvrement et la frustration matérielle conduisent manifestement un certain nombre d'entre eux à recourir au circuit des "combines" et des "trafics").

5- Le recours aux multiples formes de l'emploi temporaire, précaire, ou non déclaré, commence souvent très tôt (dès 16 ans) au cours du cursus de la formation initiale. Elle concerne tous les niveaux de diplômes, mais s’intensifie nettement chez les jeunes qui entrent dans des formations universitaires. Pour ces derniers, l'emploi temporaire d’été apparaît comme l’opportunité de compenser l’absence, dans leurs formations, de stages en entreprise. L’intérêt financier se double de l’espoir de cumuler des expériences de travail pouvant enrichir le CV. Les réponses qu'apporte le circuit du travail précaire, ou temporaire, aux besoins des étudiants, permet de comprendre non seulement la manière dont les jeunes recherchent du travail, mais également les attitudes souvent négatives à l'égard des mesures en faveur de l'emploi des "16-25 ans".

6- La grande majorité des jeunes accèdent à leurs premiers emplois sans avoir recours de manière déterminante à l'ANPE ou aux organismes d'aide à l'insertion. C'est par le circuit des petites annonces publiées par la presse, par les réseaux relationnels propres à chacun et, pour une part d'entre eux, à partir des emplois d'été, qu'ils entrent en contact avec le marché du travail. Ces voies sont systématiquement préférées à ce que peuvent leur apporter les ANPE qui, parce qu’elles ne maîtrisent qu'une part restreinte du volume des offres d'emplois, manquent de crédibilité.

7- La première phase de recherche est une période de "suractivité” pendant laquelle les jeunes essaient de faire le tour du plus grand nombre de réseaux d’information et d’offres d’emploi : ils en retirent rapidement une bonne connaissance des principaux organismes utiles, l’ANPE, les centres d'information (CIJ, CIO), les PAIO et les missions locales. Mais les jeunes qui démarrent une recherche d'emploi, (essentiellement des sortants de formation initiale), s'intéressent peu aux dispositifs des mesures pour les 16-25 ans. Dans leur esprit les mesures s'adressent principalement à deux publics : ceux qui n'ont aucun diplôme, et ceux qui ne trouvent pas rapidement une solution d'emploi même temporaire. Tous espèrent accéder à l'emploi dans un laps de temps de un à trois mois : dans cette première phase, ils privilégient les aides et les conseils de leur entourage, et, quand ils peuvent, les réseaux relationnels.

8- Passé quelques mois, un sentiment de démobilisation, mais aussi de colère, apparaît fréquemment dans le discours des jeunes, lis alternent des phases de repli où le sentiment de désœuvrement est très présent, et des phases de mobilisation suscitées par des problèmes matériels ou des crises dans le soutien familial. C'est, confrontés à l'urgence, que les jeunes retournent vers les organismes d'aide à l'insertion, pour solliciter des appuis auprès des conseillers, rechercher les mesures pouvant leur donner accès à des expériences en entreprise. Mais ils acceptent difficilement l'engagement de durée qui s’attache à ces dispositifs, et ont, le plus souvent, deux formes de réactions négatives aux mesures proposées :

-le refus d'envisager un parcours de formation de longue durée qui ne garantit pas l'accès à l'emploi à l'issue du contrat (réaction fréquente à l'encontre des contrats de qualification, mais aussi des CFI),

-le refus d'un niveau de rémunération très inférieur au niveau du salaire jugé minimal, qui oblige à rester dépendant des parents, à compter implicitement sur eux pour compenser la différence, et donc le plus souvent à continuer d'habiter au domicile familial.

9- Du fait de la durée de l'engagement, à la fois courte et reconductible, seuls les CES sont facilement acceptés : utilisés comme solution d'attente, les jeunes ne les considèrent pas comme de véritables emplois ; ils s'apparentent, pour eux, aux petits boulots.

10- Les formules de l'alternance sont les mesures les mieux perçues au niveau des principes, mais le sentiment général c'est qu'elles sont surtout valables "pour les autres" : les plus jeunes, ceux qui n'ont pas obtenu de diplôme, ceux que les parents acceptent d'aider. Le statut de l'apprenti reste situé au plus bas de l'échelle des formes d'accès à la qualification professionnelle. Les jeunes voient plus positivement le contrat de qualification : il a une image plus moderniste, et procurerait une référence d'expérience professionnelle plus valorisable. Le principal problème des contrats de qualification est qu'ils sont manifestement en nombre insuffisant pour répondre à la demande des jeunes.

11- Le désarroi des jeunes en chômage de longue durée permet de comprendre que, parmi les fonctions remplies par les ANPE, c'est la fonction d'accueil qui est la plus décriée. L’essentiel du malaise qu'engendrent les organismes vient de l'espoir qu’ont les jeunes les plus désorientés, de trouver des lieux organisés pour avoir des entretiens et obtenir des conseils très directement personnalisés. L'inadaptation de l'ANPE dans ce domaine est très mal ressentie par ceux qui ont le moins de recul, elle est relativisée par les autres. Par contraste, l'accueil trouvé dans les PAIO et les associations est perçu très positivement.

12- Très conscients des limites des candidatures formulées seulement par écrit, les jeunes soulignent la difficulté d'établir un contact direct avec les employeurs : ils pensent que cela les empêche d'acquérir rapidement la confiance et l'aisance suffisantes pour affronter les situations de recrutement, en particulier les entretiens. Ceci explique qu'ils soient assez intéressés par les cercles de recherche d'emploi et les stages de techniques de recherche, organisés notamment par les ANPE ; ils sont, à l'inverse, plutôt rétifs aux stages proposés par les PAIO et les missions locales pour élaborer des projets professionnels.

13- La régression des pratiques du recrutement direct est lourde de conséquences pour les jeunes de faible niveau de qualification. Beaucoup de jeunes essaient de pratiquer les candidatures spontanées en se présentant directement dans les entreprises. Si le système fonctionne toujours dans le secteur du commerce, il est devenu caduc dans la plupart des PME et PMI, et l'intérim n'a pas spécialement remplacé ce système d’embauche. Il manque un sas qui organiserait, pour un public plus large et de manière plus diversifiée que ce que font actuellement les associations intermédiaires, des modes d'accès directs à l'entreprise.

14- Les jeunes retirent de leurs difficultés d'accès à l'emploi, et de l’expérience qu'ils ont des mesures "jeunes", d'une part une véritable inquiétude sur les risques de se faire "exploiter", d'autre part le sentiment que les patrons ne font pas suffisamment confiance aux jeunes, dans la mesure où ils privilégient l'embauche de ceux qui ont déjà suffisamment d'expérience. Là se situe l'un des principaux points de blocage du dispositif en faveur de l'emploi des jeunes.

Alors que l’Etat multiplie les formules de stages destinées à faciliter un premier accès à l'entreprise, les employeurs tout comme les jeunes chômeurs maintiennent une différence radicale entre les multiples formes d'emploi temporaire et l'emploi "véritable" (un poste de travail clairement qualifié et occupé sur une durée suffisante) qui seule confère l'expérience. Un ou deux ans de petits boulots et de stages ne donnent pas ce viatique, et le risque est grand pour certains de se bloquer dans une situation de non accès à l'expérience.

15- Du point de vue des jeunes, la principale réponse à ce blocage serait à la fois de réduire les charges pour favoriser l'emploi (on note que le discours sur la réduction des charges des employeurs est beaucoup repris par les jeunes) et, en contrepartie, d'obliger les entreprises à embaucher les débutants, et à développer leur rôle formateur.

16- Finalement, malgré le fort sentiment d’incertitude qu'entraine la difficulté d'accéder à l'emploi, les jeunes sont peu nombreux à se sentir marginalisés, et ils se définissent en majorité comme étant plutôt bien intégrés à la société. Le sentiment d'intégration renvoit très directement au fait d'avoir de bonnes relations avec son entourage, d'avoir sa place dans un réseau qui est celui des proches. Cette certitude entretient la confiance en soi, la capacité à entrer en contact avec l'extérieur, et permet aussi d'exprimer le besoin d'altruisme et d'utilité, trois dimensions qui favorisent une attitude positive dans les démarches de recherche de travail. Néanmoins, une fraction des jeunes exprime clairement la peur qu'ils ont de ne pas obtenir une place à part entière dans la société. Ce risque est particulièrement menaçant pour ceux qui sont les plus concernés par la question de l’intégration, et qui ressentent de manière plus aigüe le jugement social qui s'attache à l'inactivité prolongée. C'est le cas des enfants des familles d’immigrés quand ils se rendent compte qu'aux difficultés vécus par tous les jeunes se surajoute un lourd handicap imposé par leurs origines ethniques.


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