Résumé
L'échec scolaire apparaît aujourd'hui comme un spectre inquiétant. Le malaise est grandissant depuis deux décennies et l'échec des élèves "en difficulté" (on ne dit plus les "mauvais élèves") a de proche en proche touché des cercles de plus en plus vastes : les parents, les enseignants et maintenant les travailleurs sociaux ou autres professions intermédiaires. L'échec scolaire est ainsi progressivement devenu, dans un contexte économique difficile, un véritable problème rejaillissant sur l'école tout entière.
Les critères qui caractérisent l'échec scolaire recouvrent fréquemment deux aspects. L'un se réfère à des niveaux de connaissance et de savoir-faire à acquérir ou à atteindre, l'autre concerne les jeunes eux-mêmes, la manière dont ils réagissent à l'institution scolaire. Mais l'école doit aussi tenir compte des déterminants sociaux tels que la structure du milieu familial ou la catégorie socioprofessionnelle des parents.
Dans ce domaine, les livres de BOURDIEU et PASSERON ont depuis vingt-cinq ans profondément marqué les interprétations et si on peut constater que le modèle qu'ils proposent, celui d'une reproduction des inégalités sociales dans et par le système scolaire, est toujours source de controverses parmi les théoriciens de l'école et de son "malaise", il y a au moins accord de fait sur le problème qui constitue le centre des préoccupations : l'inégalité sociale devant la scolarisation.
La constatation de base est simple : plus l'origine sociale est élevée, plus le niveau d'études est élevé et, compte tenu de la liaison entre formation et emploi, plus la position sociale atteinte est également élevée. A l'autre extrémité de l'échelle sociale, les enfants issus des catégories les plus modestes n'ont aucun diplôme, se retrouvent dans des positions sociales situées vers le bas de l'échelle.
Le nombre de jeunes occupant un emploi neuf mois après leur sortie du système scolaire est passé de 540.000 en 1973 à 290.000 en 1985. Pour les moins diplômés, les risques de déclassement sont importants. Ainsi, 40 % environ des garçons titulaires d'un CAP ou d'un BEP deviennent ouvriers non qualifiés à la sortie de l'école.
Environ 800.000 jeunes quittent le système scolaire chaque année. Or, même si le nombre des sorties aux niveaux les plus bas a nettement diminué, cela concerne essentiellement les jeunes de niveau Vbis. Par contre, au niveau VI, la décroissance est plus lente, moins régulière et semble avoir atteint un seuil depuis quelques années provoquant ainsi la création d'un noyau dur de l'échec scolaire : en 1985, 36.500 sorties 1 2ont eu lieu au niveau VI (apprentissage inclus) et 60.500 au niveau Vbis.
Cette étude a deux objectifs. Le Ministère de l'Education nationale a souhaité disposer d'informations nouvelles sur les jeunes sortis récemment de l'école sans aucune qualification. C'est-à- dire mieux appréhender leurs conditions de vie et leur environnement familial, leur rapport à l'école et aux dispositifs d'insertion. C'est un premier objectif.
Le second était de dégager une éventuelle spécificité du dispositif CIPPA par rapport à l'ensemble de la population des jeunes non qualifiés, et d'évaluer son adéquation avec les besoins spécifiques des jeunes se trouvant en rupture de scolarité.
Le Ministère de l'Education nationale a en effet créé en février 1985 dans le cadre de l'opération "60.000 jeunes" les Cycles d'insertion Professionnelle Par Altenance (CIPPA).
Les bilans publiés par la DEP font état d'un flux annuel d'environ 5.000 élèves qui entrent dans ce dispositif pour une durée variant de deux à neuf mois. Il s'agit dans leur majorité de moins de 18 ans venant directement du système éducatif, avec une scolarité marquée très tôt par l'échec d'où un arrêt fréquent des études au niveau VI de formation (sections d'éducation spécialisée, CPPN et CPA en général) ou, plus rarement, un abandon précoce en lycée professionnel ou à l'issue de la classe de 3ème (niveau Vbis de formation).
Le nombre d'entrées dans les CIPPA peut paraître faible par rapport au total des élèves sortant du système scolaire sans qualification professionnelle et on peut être tenté de leur assigner un rôle marginal face à l'ensemble des mesures en faveur de l'insertion professionnelle des jeunes en difficulté. Toutefois, l'impact de ce dispositif est loin d’être négligeable dans certains cas si l’on considère que :
- les CIPPA accueillent chaque année 10 à 15 % des jeunes les plus défavorisés sur le plan scolaire (sortants des SES, des CPPN ou des CPA) et permettent de trouver une solution d'insertion professionnelle ou éducative pour une bonne partie d'entre eux ;
- le dispositif est implanté de façon très inégale selon les régions. Quelques Académies du Sud et de l'Est de la France ou à dominante rurale n'ont pratiquement aucun cycle. Au contraire, la proportion des jeunes rentrant dans un CIPPA par rapport à l'ensemble des sortants du système éducatif est significative dans plusieurs Académies du Nord (Amiens, Rouen, Créteil et Reims par exemple).
Pour atteindre les deux objectifs fixés, le CREDOC a proposé en premier lieu une exploitation du fichier de mars 1988 de l'enquête sur l'emploi de l'INSEE. En effet, l'importance de l'échantillon et le caractère systématique des renseignements obtenus rendent possibles des études détaillées sur des sous-populations aux effectifs relativement réduits comme les jeunes non qualifiés et leur famille.
L'analyse de ce fichier est présentée dans la première partie de ce rapport. Les informations recueillies permettent une première appréciation objective de l'importance des situations de précarité ou même de pauvreté rencontrées par les jeunes non qualifiés et leur famille.
Dans la seconde partie seront analysés les résultats de l'enquête menée par le CREDOC auprès de deux échantillons comprenant chacun 200 jeunes environ, âgés de 16 à 18 ans sans qualification. Le premier a regroupé uniquement des élèves de CIPPA et le second était constitué de jeunes chômeurs ou de stagiaires d'un autre dispositif d'insertion.
Le nombre des 16-18 ans que nous avons interrogés est trop réduit pour qu'on ait l'assurance que les résultats obtenus à chacune des questions soient tout-à-fait représentatifs de la moyenne nationale. Mais l'objectif de l'enquête de terrain n'était pas là : on cherchait plutôt à estimer l'intensité des dépendances entre le passé scolaire et familial du jeune, sa situation actuelle, ses projets, ses rêves.
Enfin, dans la dernière partie nous tenterons de repérer les attitudes de ces jeunes non qualifiés vis-à-vis des dispositifs d'aide à l'insertion professionnelle, et de dégager une éventuelle spécificité des élèves du dispositif CIPPA.