Modes de vie, attitudes, projets professionnels : le rôle de l'origine culturelle

V. Cohen-Scali

Cahier de recherche N°C201

Résumé

Le CREDOC et plus particulièrement le Département Évaluation des Politiques Sociales (EPS) s’intéresse depuis longtemps aux modes de vie et à l’intégration professionnelle des populations « stigmatisées » et notamment à l’effet des dispositifs d’accompagnement mis en place par les pouvoirs publics à leur intention.

Le Département EPS est en effet, souvent sollicité pour évaluer les effets des dispositifs d’aide à l’insertion sociale ou professionnelle de ces publics. Ainsi récemment, une étude sur les trajectoires d’insertion de 800 jeunes handicapés a mis en évidence les effets positifs des dispositifs de formation en alternance : les deux tiers trouvent un emploi à la fin de ce type de formation. Des études ont également été réalisées auprès de la population « jeunes en difficulté », en général des jeunes sans emploi et peu ou pas diplômés. Là encore, il a été montré que l’activité de soutien et de suivi des conseillers des PAIO/ ML favorisait la résolution des problèmes psychologiques, des conflits avec la famille et l’émergence chez ces jeunes, de réflexions concernant l’emploi. L’analyse met en évidence l’existence de nombreuses trajectoires de réussite. Les dispositifs d’accueil d’urgence des personnes en difficulté ont également été évalués4. Globalement, il est apparu que ces structures répondent aux besoins des personnes sur un plan quantitatif mais pourraient être améliorées concernant des aspects plus qualitatifs des services.

Cette question des dispositifs d’aide aux personnes et aux groupes stigmatisés renvoie également à des réflexions théoriques développées dans le département EPS concernant les relations intergroupes, le développement des attitudes, les relations aux normes et l’émergence des stéréotypes.

Nous nous intéressons, pour cette recherche plus particulièrement aux populations issues de l’immigration. A ce sujet, le CREDOC a également conduit des travaux. Très récemment, le département « Évaluation des Politiques Publiques » a effectué une étude à la demande du Haut Conseil à Intégration (HCI) sur l’accès des personnes issues de l’immigration au statut de cadres. Une réflexion a par la suite été développée sur les pratiques des entreprises concernant le recrutement et la gestion des personnes issues de l’immigration. Il est apparu que ces personnes, diplômées ou non rencontrent des difficultés plus grandes pour s’insérer professionnellement que les autres individus. Ces difficultés sont mises au compte des discriminations raciales et touchent essentiellement des personnes des DOM-TOM, du Maghreb et d’Afrique. L’étude met par ailleurs en évidence les difficultés de réalisation d’études auprès d’entreprises sur ces questions de discrimination à l’emploi. Au total, la question du rapport à l’emploi des populations stigmatisées est transversale à plusieurs départements et constitue donc une préoccupation majeure du CREDOC.

L’objet de notre recherche s’intègre dans cette réflexion globale. Il s’agit pour nous de cerner en quoi les modes de vie et le rapport au travail des jeunes issus de l’immigration diffèrent de ceux des autres jeunes. En quoi l’appartenance à une population stigmatisée intervient-elle sur les représentations de soi et du travail, sur les modes de vie et pratiques quotidiennes ? Cette question nous paraît importante pour deux raisons.

Sur un plan théorique, elle renvoie à une thématique centrale et d’ailleurs largement débattue de la transformation identitaire. Il s’agit plus précisément de comprendre comment une identité sociale de groupe influence le développement identitaire individuel et complémentairement comment l’identité personnelle peut induire certaines attitudes, représentations du groupe d’appartenance. Il s’agit donc d’une réflexion théorique importante tant en sociologie qu’en psychologie sociale. Nous aborderons dans la suite du document les différentes problématiques sous tendues par cette thématique.

Sur un plan plus appliqué, cerner les attitudes et représentations liées au travail des jeunes issus de l’immigration interpelle les pratiques des services dont la mission est d’aider ces populations à s’insérer dans un emploi (CIO, PAIO/ ML, ANPE...). D’une part, il est en effet indispensable d’améliorer notre connaissance des publics jeunes issus de l’immigration afin de contrer les nombreux stéréotypes dont ils sont victimes dans le milieu du travail. D’autre part, cette connaissance doit contribuer à une valorisation de leurs compétences et de leurs singularités et à une réflexion sur l’amélioration de leur orientation professionnelle.

Notre document se décompose en deux parties. La première partie décrit, dans un premier temps les caractéristiques des jeunes issus de l’immigration, puis aborde les approches théoriques utilisées pour la problématique construite essentiellement à partir de la théorie de l’identité sociale de Tajfel. Nous détaillerons quelques uns des aspects de cette théorie et de ses conséquences sur les relations intergroupes et stratégies identitaires développées par les populations en difficulté.

Nous présenterons ensuite notre problématique, nos hypothèses et méthodologie. Dans une deuxième partie, nous donnerons les résultats issus d’une enquête quantitative réalisée auprès de 170 apprentis en alternance dans un BTS de comptabilité dont près de la moitié sont des jeunes issus de l’immigration de diverses origines culturelles.


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