Résumé
L'arrivée massive des femmes sur le marché du travail depuis une trentaine d'années a suscité beaucoup d'interrogations et donné lieu à de multiples études1 Nombreux sont ceux qui se sont penchés, par exemple, sur les bouleversements engendrés par la féminisation de la population active et ses conséquences, notamment sur la sphère familiale, mais aussi sur les univers économiques, sociaux et politiques.
La montée de l'activité féminine n'a cependant pas mis fin, loin de là, au partage des rôles dans les couples, en particulier en ce qui concerne l'éducation des enfants. La dichotomie des rôles paternel et maternel n'est, il est vrai, plus aussi forte que dans les années d'après-guerre où les femmes restaient le plus souvent à la maison pendant que les maris travaillaient. Cependant, l'engagement des femmes vis-à-vis des enfants reste toujours indéniablement plus important que celui des hommes. Dans ces conditions, ne doit-on pas se demander qui pâtit le plus des nouvelles structures familiales, et tout particulièrement de la "bi-activité" des jeunes couples ? Est-ce les femmes, qui subissent des doubles journées et ont du mal à tout faire ? Les enfants, qui, très jeunes, sont coupés de l'univers protecteur de la famille ? Ou encore le couple dont l'équilibre peut être perturbé par les nouvelles responsabilités professionnelles de la femme ?
Il ne s’agit évidemment pas de répondre ici à l'ensemble de ces questions, mais de tenter d'apprécier comment l'opinion publique réagit à ces problèmes. Car, certes, la question de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle se pose, on l'a compris, avec beaucoup plus d'acuité pour les femmes que pour les hommes. Mais ces derniers ne sont évidemment pas exclus du débat : leurs mentalités n'ont-elles pas, avec l'émancipation des femmes, sensiblement évolué ? La question de l'aménagement du temps de travail des pères n'est-elle pas aussi à l’ordre du jour ? Dans ces conditions, on peut se demander comment l'opinion voit aujourd'hui les sujétions que la vie professionnelle exerce sur la vie familiale et quelles solutions lui paraissent préférables pour alléger la double contrainte induite par les exigences respectives des sphères professionnelles et familiales. Et ne peut-on pas également se demander si les évolutions connues par l'opinion publique ces dernières années ont été assez fortes pour admettre que la réflexion sur le sujet doit aujourd'hui autant concerner le couple, pris dans son ensemble, que la femme - ou la mère - exclusivement ?
Ces questions ne sont, certes, pas nouvelles, mais il faut bien remarquer que le débat sur la conciliation vie professionnelle-vie familiale ne se pose pas aujourd'hui dans les mêmes termes qu'il y a quelques années : à l'heure où la société française traverse une crise profonde de l'emploi, la montée du chômage ne fait qu'accentuer le prix accordé au travail. Il semblait donc utile, dans un tel contexte, de faire le point sur la manière dont réagit, aujourd'hui, la population. Cette donnée conjoncturelle n'influence-t-elle pas sensiblement les jugements sur le sujet ? En particulier, l'arrêt temporaire d'activité des mères de jeunes enfants suscite-t-il aujourd'hui autant d'engouement qu'il y a quelques années, alors que la conjoncture laisse présager un difficile retour à l'emploi ?
C'est pour pouvoir disposer d'un nouvel éclairage sur ces sujets que la Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF) a fait insérer une série de questions dans l'enquête du CREDOC sur "les Conditions de Vie et les Aspirations des Français", qui s’est déroulée en Décembre 1992-Janvier 1993.
L'enquête a été réalisée en face à face auprès d'un échantillon de 2013 personnes de nationalité française, âgées de 18 ans et plus, sélectionnées selon la méthode des quotas. Ceux-ci (région, taille d'agglomération, âge, sexe, PCS) ont été calculés d'après le Recensement de 1990. Afin d'assurer la représentativité par rapport à la population nationale, un redressement a été effectué à partir des variables suivantes : âge, sexe, PCS et taille d'agglomération.
Les thèmes traités répondent aux demandes formulées par la CNAF1. L'analyse des résultats de l'enquête est effectuée en quatre chapitres :
Le premier chapitre ne concerne pas vraiment la question de l'activité féminine, mais fournit un certain nombre de points de repères sur les attitudes des Français face aux diverses prestations sociales, et notamment les prestations familiales. Quel est l'objectif que devraient viser les prestations familiales dans les années à venir ? Quelles sont les prestations sociales auxquelles les Français accordent le plus d'importance ? Quelles sont celles qu'ils seraient éventuellement prêts à réduire ? Les réponses à ces questions montrent combien les Français sont attachés aux prestations familiales, qu'ils placent en tête des aides à augmenter en priorité. Ils attendent aussi que ces prestations visent surtout, à l’avenir, à contribuer à lutter contre la pauvreté et à la correction des inégalités de revenus.
Le deuxième chapitre est consacré aux opinions générales des Français sur l'activité féminine. Un équilibre semble s'être instauré dans la population entre les partisans du travail féminin et ses opposants. Quelles sont les caractéristiques de ses partisans ? Qui sont ceux qui restent défavorables à l'exercice de l'activité professionnelle des femmes ? Le sont-ils plutôt par opposition de principe à l'activité féminine ou bien par désaccord avec l'idée qu'une mère puisse exercer une activité professionnelle ? Comment nos concitoyens expliquent-ils l'intensification de l'activité féminine au cours de ces dernières années ? L'examen des réponses apportées à ces questions montre combien les attitudes sur le travail féminin varient selon que l'on s'interroge - et que l'on se prononce - sur l'activité de la femme ou celle de la mère.
Le troisième chapitre s'attache à étudier plus spécifiquement les problèmes de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, pour les mères de famille certes, mais aussi plus largement pour les "jeunes parents". Parmi les solutions envisageables (arrêt d'activité, temps partiel, poursuite du temps plein, ...), quelles sont celles qui paraissent préférables aux Français ? En tout état de cause, trois constats prédominent : d'abord, près de quatre femmes actives sur dix déclarent avoir déjà interrompu leur activité professionnelle à l'occasion de la naissance d'un enfant. Ensuite, rares sont les Français qui considèrent que la solution la plus souhaitable est, pour une femme ayant des enfants, de continuer à travailler à temps plein ; peu nombreux sont également ceux qui préconisent le retour de la femme au foyer. C'est, en fait, entre la solution du travail à temps partiel et celle de l'arrêt temporaire d'activité que la population se partage.
Le dernier chapitre vise à fournir une vision synthétique des opinions des Français sur les mesures souhaitables pour mieux concilier vie familiale et vie professionnelle. La typologie réalisée permet ainsi d'apprécier comment les différents groupes de la population se positionnent sur le problème de l'activité professionnelle des femmes et sur les solutions qui leur paraissent préférables pour faciliter la conciliation nécessaire entre contraintes familiales et professionnelles.