Résumé
Voilà donc le climat de ce début 2004 : le pessimisme collectif, comme une marée noire indomptée, lourde et pesante, progresse, envahit presque les esprits, masquant les quelques espoirs individuels, certes de plus en plus localisés, mais pourtant encore présents.
Il est vrai que mois après mois, les inquiétudes continuent, avec une constance désarmante, à étreindre un corps social confronté à un malaise presque existentiel : les peurs sont toujours là, sourdes, toujours renouvelées, toujours plus aiguës, alors même que la guerre n’est apparemment plus à nos portes. Et il serait bien présomptueux de croire qu’elles pourraient reculer : l’opinion sent bien l’omniprésence des dangers et sent bien en même temps qu’il lui faudra s’y habituer...
Quant aux pronostics sur l’évolution du chômage, ils alimentent les doutes sur la capacité du pays, la capacité « des autres », à s’en sortir : ce que, l’an dernier, nous avions appelé une sorte de « repli désenchanté » a fait place à un certain fatalisme, à un abattement apeuré. Comme si on ne voulait voir, dans le balancement incertain de la conjoncture, que ses potentialités négatives : plus des deux tiers de la population pensent que le niveau de vie de l’ensemble des Français se dégrade. D’ailleurs, le mécontentement en matière de retraites, les critiques sur les effets déresponsabilisants des politiques sociales contribuent eux aussi à alimenter, à ressasser la résignation. Voilà bien cinq ou six ans que nous n’avons pas été confrontés à un tel pessimisme galopant. En un mot, le pays est mal dans sa peau.
Pourtant, à bien y regarder, derrière l’amoncellement apparent des nuages gris-noir, des signes d’espérance - nous n’osons plus dire d’espoir - sont encore présents. Certes, le moral personnel des ménages s’effrite lui aussi. Mais même si, dans quelques catégories inquiètes de l’évolution de leurs propres revenus, on voit apparaître quelques velléités revendicatives marquées, les appréciations sur les situations individuelles restent globalement d’un niveau très acceptable - et parfois même très confiantes L’effritement observé au niveau individuel est, en tout état de cause, sans commune mesure avec la crise de confiance collective, le découragement, presque l’accablement, qui semblent affecter aujourd’hui une bonne partie des esprits.
L’apparente progression d’une certaine modernité (en matière de mœurs, de produits innovants...) est elle-même le signe de l’existence, de la présence de potentialités nouvelles, de possibles changements d’opinions. En fait, dans la France troublée de ce début 2004, nos concitoyens croient plus en leur avenir personnel qu’en leur avenir collectif : le plus frappant de la situation actuelle est cet écart, ce fossé existant entre l’appréciation que chacun porte individuellement sur sa propre situation et celle qu’il affiche sur les difficultés dans lesquelles il juge que toute la société est plongée. Ce décalage, quand il s’accroît, est un « accélérateur de doutes », un « multiplicateur d’anxiété », et il devient alors, on l’a vu dans le passé, source d’une déprimante paralysie, notamment en matière de consommation.
Dans ce contexte, il n’y a guère d’hésitations : le pays a un besoin profond, essentiel, celui de retrouver confiance. Même si le retour de la confiance va bien sûr intimement dépendre de la réussite des efforts déployés contre le chômage, le pays attend d’abord un projet, une raison collective de croire en l’avenir.
Car, c’est clairement le pessimisme collectif qu’il faut aujourd’hui contrecarrer, terrasser et tenter d’annihiler. Sans recul de ce pessimisme, sans sursaut, la crise est probablement au bout du chemin. Par contre, surmonter ce pessimisme, c’est permettre à ces quelques germes d’espoir, présents ici et là, mais encore en terre, de refleurir lentement.