Résumé
Voilà donc finalement l’élément majeur du climat instable de ce début 2005 : les ressentiments se multiplient dans la société française ; les griefs, plus ou moins intenses, plus ou moins communs, foisonnent ; en un mot, l’insatisfaction grandit.
Le plus frappant, au terme de cette analyse, est sûrement la convergence catégorielle des récriminations. Et c’est cette convergence qui mérite aujourd’hui le plus d’attention : il faut dire qu’elle porte en germe, comme cela avait pu être le cas il y a quelques années, le renoncement, la démoralisation et, in fine, la montée des radicalités.
Car partout où, il y a encore deux semestres, les critiques, déjà largement présentes, n’étaient que ciblées, plus ou moins localisées, le mécontentement s’est lentement, insidieusement, diffusé, dilaté, envahissant les esprits :
> D’abord, le pessimisme collectif, qu’on assimilait déjà l’an dernier à une marée noire, lourde et pesante, a continué à s’étendre, à napper le corps social, « emprisonnant », piégeant cette fois les classes moyennes et aisées.
■ Ensuite, force est de constater que l’opinion presque unanime, comme saisie par l’impuissance apparente des gouvernants à combattre efficacement le chômage, ne croit plus guère à une baisse prochaine du fléau.
■ Enfin, les tensions sur le niveau de vie individuel, profondes et lancinantes, sont venues balayer, annihiler quasiment les derniers espoirs catégoriels, ceux qu’on décelait pourtant bel et bien il y a encore quelques mois dans les classes moyennes et intermédiaires.
La morosité, pour ne pas dire l’amertume, commence même à gagner, sans faille apparente, les groupes du haut de l’échelle des revenus. D’ailleurs, les restrictions ressenties s’accroissent partout, traduction des tensions qui pèsent sur un pouvoir d’achat d’autant plus mis à mal, dans les esprits, que la confiance dans l’étalon de mesure, l’Euro, semble elle-même sinon ébranlée, du moins largement discutée. Ainsi, voilà bien le maître-mot au cœur des interrogations actuelles de la population hexagonale : c’est la confiance, collective et individuelle, qu’il convient de restaurer ; c’est la foi en un avenir commun qu’il est nécessaire de retrouver.
Heureusement, on peut encore déceler - ou chercher à déceler -, malgré le trouble évident de l’opinion, quelques espoirs fugaces, quelques potentialités qu’il faudrait savoir mieux capitaliser, arriver à faire fructifier :
* D’abord, pour la première fois depuis huit ans, les inquiétudes ont entamé un mouvement de recul significatif. Certes, il est encore trop tôt pour se prononcer sur la poursuite de ce mouvement. Mais la simultanéité de la baisse des craintes sur les quatre sujets de risques mesurés dans l’enquête, peut redonner quelque espoir : après plusieurs années d’abattement, l’opinion, qui se sentait hier impuissante face à l’omniprésence de peurs sourdes et renouvelées, ne montre-t-elle pas ainsi qu’elle pourrait avoir la capacité de dépasser ces craintes, d’oublier ses appréhensions ? Le pays, hier abattu et apeuré, n’est-il pas en train d’échanger « la lourdeur de la résignation » contre « l’esprit de revendication » ? N’est-il finalement pas plus aisé d’agir contre la baisse du pouvoir d’achat que contre un malaise plus qu’existentiel, multiforme et insaisissable ?
* Ensuite, avec l’accroissement des restrictions, l’appétence à consommer semble bien montrer quelques signes de renouveau, pour peu que le pouvoir d’achat d’abord, mais aussi les politiques d’offre, suivent. N’y a-t-il pas là également un fugace indice de retournement possible, à condition d’arriver à lutter contre le pessimisme collectif galopant et d’engager délibérément, à bras-le-corps pourrait-on dire, des politiques nouvelles capables de restaurer la confiance.
Ainsi, les Français sont mécontents, mais soumis à une insatisfaction encore « froide », sans poussée de fièvre par trop excessive. Méfions-nous cependant de leurs réactions : ils ne sont peut-être plus résignés, mais ils ont besoin d’être guidés. Car le pays semble à la croisée des chemins. Le pari aujourd’hui - et il n’est sûrement pas trop tard —, c’est de ne pas le laisser glisser, dans un climat revendicatif montant, du spleen de la déception vers les tourments bouillonnants de la totale désillusion.