Résumé
En décembre 1988, la loi relative à la mise en place du Revenu Minimum d’insertion est votée, son application est instantanée. Rendu nécessaire par l’ampleur de la pauvreté et de la précarité, le RMI a pour vocation d’assurer aux plus démunis le minimum vital tout en essayant de les réintégrer dans la société. Comment réagit l’opinion publique à cette mesure ? Comment en perçoit-elle le principe et le fonctionnement ? C’est pour répondre à ces questions que, pour la deuxième année consécutive, le CREDOC, à la demande de la CNAF, a interrogé la population française par l’intermédiaire de l’enquête " Conditions de vie et Aspirations des Français".
Un consensus favorable au RMI.....
Un véritable consensus se dégage dans l’opinion publique à propos du RMI: les neuf dixièmes des Français plébiscitent cette mesure. Certes s’opposent ceux dont l’attitude est relativement "sévère" vis-à-vis de cette prestation et ceux dont les opinions apparaissent plus souples. Mais dans l’ensemble, l’idée de moraliser le RMI en subordonnant son versement au mérite de l’allocataire est fortement rejetée. Ainsi, 63% des Français pensent que cette allocation doit être versée automatiquement lorsque l’intéressé est en dessous du minimum. Toutefois, lorsque l’on introduit la notion de projet d’insertion, les opinions sont totalement différentes : ce qui corrobore bien l’idée que c’est l’aspect moralisateur du mérite qui est rejeté face à l’idée d’automaticité. Près de 72% de la population jugent normal qu’un projet d’insertion soit la contrepartie du versement. Les avis sont toutefois partagés quant aux raisons de mettre en place le projet d’insertion. On peut en effet le considérer comme un devoir (puisqu’on reçoit de l’argent, on doit donner des gages de sa bonne volonté) ou, au contraire, comme un droit du bénéficiaire (l’argent ne suffit pas à aider les plus pauvres). Parmi les 72% d’enquêtés qui trouvent normal de lier la prestation à un projet d’insertion, 70% se situent dans la deuxième catégorie.
Dans la population française, on peut ainsi distinguer trois grands groupes d’individus :
- Les irréductibles (30% de la population) qui s’opposent à la notion même de contrepartie. Pour eux, la société doit assurer à chacun de ses citoyens un revenu minimum et ceci automatiquement. Le représentant de ce groupe est plutôt jeune, vit seul et a des revenus modestes.
- Viennent ensuite ceux qui perçoivent le projet d’insertion non pas comme un instrument de contrôle, mais plutôt comme un complément indispensable à l’aide financière. Ils représentent 50% de la population et se caractérisent par un niveau de diplôme supérieur à la moyenne.
- Enfin, dans le dernier groupe (environ 20%), on trouve des individus qui sont défavorables au RMI et qui adhèrent à l’aspect moralisateur de la contrepartie. Peu diplômé, l’enquêté de ce groupe est souvent une personne âgée vivant en province.
Une autre façon de mesurer la générosité des Français concerne la durée de versement de la prestation. La loi prévoit de l’accorder pour une période de trois mois renouvelables, mais la majorité des Français (65%) estiment que cette allocation doit être versée tant que la situation du bénéficiaire le justifie. En choisissant d’accorder cette aide aussi longtemps que nécessaire, les Français se placent bien dans une perspective de lutte à long terme contre la pauvreté.
Peut-être conscients de la faiblesse relative de la somme allouée, plus de six enquêtés sur dix sont indulgents vis-à-vis du recours aux petits travaux au noir : ceux-ci sont acceptés pour arrondir les fins de mois des bénéficiaires de la prestation..
Mais quelques interrogations…
Le RMI peut entraîner des effets pervers : la désincitation au travail n’en est pas un des moindres. La prestation ne risque-t-elle pas de permettre le choix entre travail et non travail ? Pour un ménage disposant du SMIC, l’utilité marginale du travail peut en effet paraître faible. Or, ce risque n’est perçu comme tel que par une minorité de Français : 30% seulement d’entre eux pensent que cette aide "risque d’inciter les gens à s’en contenter et à ne pas chercher du travail".
Par contre, les avis sont plus partagés sur les modalités du projet d’insertion. Une "formation générale (lecture, calcul, vie pratique)" peut-elle en constituer la base ? Les Français n’en semblent pas convaincus : 52% d’entre eux estiment que suivre une formation générale n’est pas un effort suffisant pour se voir attribuer le RMI. Est-ce le mot "général" accompagné de la notion de "vie pratique" qui heurte la moitié de la population (l’effort devrait se concrétiser par une formation aux débouchés professionnels plus immédiats) ou la notion de formation qui est jugée insuffisante pour constituer le projet d’insertion ? Ceci devrait faire l’objet d’investigations complémentaires.
Et des divergences d’opinion suivant les caractéristiques socio- économiques.~.
Plusieurs facteurs influent sur le choix des réponses : ainsi la profession et catégorie sociale, le niveau de vie (mesuré à la fois par le niveau d’équipement et par le revenu), le fait d’être au chômage, de l’avoir connu ces dix dernières années et même le fait de s’en sentir menacé, enfin l’âge et la région de résidence. Sur toutes les questions, les indépendants et les agriculteurs s’opposent d’une part aux cadres supérieurs/professions libérales et d’autre part aux inactifs (en activité ou à la retraite). Les premiers manifestent une relative méfiance vis-à-vis du RMI et sont majoritairement hostiles à l’idée d’une aide sans contrepartie de la part du bénéficiaire. Les agriculteurs surtout estiment qu’il est normal d’exiger une contrepartie puisqu’il y a distribution d’argent (43%). On retrouve la même tendance tant à propos de l’insuffisance de la formation générale pour justifier l’attribution de l’aide que sur la durée de versement du RMI que 24% des indépendants limiteraient à trois ou six mois. Quant à la prestation elle-même, elle est plutôt accusée d’inciter à la paresse. A l’opposé, les cadres supérieurs/professions libérales montrent de manière générale un grand sens de la solidarité vis-à-vis des plus défavorisés. Très largement favorables au RMI (91%) et à l’automaticité de son versement (66%), ils estiment, pour neuf sur dix d’entre eux, que le projet d’insertion est un moyen de maximaliser l’aide. Ils n’envisagent pas qu’un choix puisse s’effectuer pour les allocataires entre travail et non travail. Par contre, ils sont plus mitigés sur la suffisance de la formation générale pour l’attribution du RMI et sur le recours aux petits boulots non déclarés.
L’importance du phénomène "chômage" dans le choix des réponses est à noter. Le fait de connaître ou d’avoir connu le chômage ces duc dernières années rend beaucoup plus sensible aux problèmes des plus démunis. Ainsi, de grandes divergences apparaissent entre les chômeurs et les actifs occupés à propos de l’automaticité du RMI : les derniers ont une attitude beaucoup plus stricte et 41% d’entre eux contrôleraient d’abord le mérite du solliciteur (contre 27% chez les chômeurs). Le fait même de se sentir menacé de chômage influe sur les réponses. Cette opposition s’observe aussi en ce qui concerne l’éventuelle désincitation au travail : les personnes privées d’emploi rejettent à 75% l’idée d’une inactivité voulue et pleinement acceptée (contre 66% chez les actifs occupés). De même, plus l’enquêté a été au chômage, plus il trouve normal le recours aux petits boulots non déclarés pour arrondir les fins de mois.
L’âge est un autre facteur déterminant. D’un côté, les moins de 35 ans se déclarent favorables au RMI, mais jugent anormal d’exiger une contrepartie en échange de son versement. Très généreux, ils accordent cette aide tant que la situation du bénéficiaire le justifie. Les plus âgés, par contre, considèrent normal de demander quelque chose en échange de la prestation. Mais les raisons de ce choix divergent suivant l’âge : les plus de 65 ans voient dans la contrepartie un moyen pour renforcer l’efficacité de l’aide (ils sont d’ailleurs favorables au RMI contrairement à leurs cadets) tandis que les générations intermédiaires la trouvent normale "car il y a versement d’argent". Dernier point à noter : les différences d’opinion suivant les régions. La région parisienne et la Méditerranée montrent un plus grand sens de la générosité tandis que l’Est et le Nord se montrent plus réticents vis-à-vis de cette mesure.
Une conception variable du "Minimum"....
Il était, enfin, intéressant de s’interroger sur la notion même de minimum. Qu’entendent les Français par ce terme ? S’agit-il d’assurer les besoins élémentaires, en particulier alimentaires, ou d’assurer une vie parfaitement intégrée dans la société ? Les Français interrogés par le CREDOC estiment qu’une famille de deux enfants doit pouvoir disposer en moyenne de 3996 F pour la nourriture afin de ne pas être considérée comme pauvre (estimation fin 1989). D’autre part, le revenu qui paraît être le minimum pour une famille de même composition est de 9404 F. On s’aperçoit, lorsque l’on relie ces deux appréciations, que la part de l’alimentation dans le budget des plus pauvres est estimée à 42% (rappelons que le coefficient budgétaire INSEE pour l’alimentation des plus démunis est de 0,29). Surestimation du poste alimentation ou au contraire juste vision de la réalité ? Notons de toutes façons, qu’avec une telle appréciation, plus de 36% des familles françaises avec deux enfants se situeraient en dessous du seuil subjectif de pauvreté. Mais on remarque aussi sur cette question des différences sensibles d’appréciations suivant les catégories sociales : plus le niveau de vie de l’enquêté est élevé, plus son estimation du revenu minimum est forte.